Contribution du Groupe de travail du MSC sur les données
à la Consultation électronique du HLPE sur la portée du rapport sur  « Outils de collecte et d’analyse des données pour la sécurité alimentaire et nutrition »

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21 Mars 2021

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Introduction 

Les objectifs et la portée actuelle du rapport HLPE sur « Outils de collecte et d’analyse des données pour la sécurité alimentaire et nutrition (SAN) » sont insuffisants car il leur manque un objectif et une dimension normative. Le rapport devrait répondre clairement aux questions relatives à la collecte de données : pour en faire quoi, comment et au profit de qui. Nous proposons, sur la base de l’ancrage normatif du CSA, que ce rapport identifie la manière dont la collecte et l’utilisation des données peuvent contribuer à faire respecter les droits des peuples autochtones, des femmes, des paysans et des agriculteurs familiaux, des travailleurs de l’ensemble des systèmes alimentaires, des pêcheurs, des pasteurs, des consommateurs; et comment la collecte et l’utilisation des données devraient être régies et réglementées afin de respecter et de protéger les Droits humains et les Droits des peuples.
La portée actuelle fait référence à des concepts de données statistiques en assumant que les données sont quelque chose de neutre, d’objectif et libre de biais normatifs sociaux, environnementaux et politiques spécifiques. Pour les paysans, les petits producteurs d’aliments et les travailleurs ruraux, ce que l’on a appelé données n’est ni abstrait ni neutre. La capture sélective des données dans les champs et leur transformation ultérieure en informations deviennent un puissant produit économique. Ce n’est pas l’approche qu’ont les acteurs des systèmes alimentaires susmentionnés lorsqu’il s’agit de collecter et d’analyser des données.
Cet Axe de travail offre l’opportunité d’aborder la grande variété de questions liées à la collecte et à l’analyse des données pour la SAN, variété que la portée actuelle proposée ne mentionne pas : la numérisation des systèmes alimentaires, les utilisations non réglementées du big data, la propriété des infrastructures de données et les hypothèses méthodologiques pour la collecte et l’analyse. En abordant ces questions, le HLPE doit élaborer une définition claire des données pour l’intérêt public qui répond aux préoccupations des peuples autochtones, des femmes, des paysans et des agriculteurs familiaux, des travailleurs dans les systèmes alimentaires, des pêcheurs, des éleveurs et des consommateurs.
La définition et l’analyse des données par le HLPE doivent être guidées et encadrées par le Droit à l’alimentation et l’ensemble du cadre international des Droits humains, en se référant en particulier au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, l’UNDRIP, l’UNDROP, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et les conventions pertinentes de l’OIT. Elle doit fournir une analyse claire des responsabilités et des obligations des gouvernements, du secteur privé et des détenteurs de droits, ainsi que de la manière dont les données doivent être collectées, analysées et gérées.
Le lien entre la collecte et l’analyse des données et la numérisation continue et agressive des systèmes alimentaires (depuis l’automatisation à la robotisation en passant par l’utilisation de l’intelligence artificielle pour le traitement et l’analyse des données) est considéré comme acquis. Les divers aspects de la numérisation de l’alimentation et de l’agriculture sont contestés et largement débattus par toutes sortes d’organisations de la société civile. L’impact environnemental de la collecte et de l’analyse des données, la durabilité et la numérisation de l’alimentation et de l’agriculture doivent également être pris en compte dans le cadre de ce rapport.

Cadres conceptuels et hypothèses méthodologiques sous-tendant la collecte et l’analyse des données
Tous les secteurs de l’économie industrielle, y compris l’agriculture, collectent et accumulent des données et s’efforcent d’en faire un usage commercial. Dans le même temps, de nombreux États ne disposent pas des ressources (humaines et structurelles) pour mener une collecte de données de haute qualité et tenir à jour leurs statistiques. Les pools officiels, enquêtes et recensements, ont généralement besoin de chiffres « significatifs » pour produire les échantillons, les percentiles, les moyennes, les probabilités, les cadres conceptuels. La manière dont les statistiques procèdent peut écarter les variabilités et les différences qui caractérisent les contextes dans lesquels prospèrent les petits exploitants, les peuples autochtones, les paysans et les unités d’agriculture familiale.
Il ne faut pas présumer de l’objectivité des processus et des outils qui reposent sur l’intelligence artificielle et l’apprentissage automatique. Derrière la programmation des machines se trouvent des concepteurs de logiciels et des programmeurs humains, avec des intérêts, des hypothèses et des jugements normatifs, qui construisent les algorithmes et les formats par lesquels les données sont collectées et analysées. Des hypothèses sont également intégrées dans les algorithmes qui « apprennent » aux systèmes d’apprentissage automatique à devenir ‘intelligents’ ». La collecte et l’analyse des données à l’aide des nouveaux outils numériques peuvent se traduire par le rejet de cette variabilité, ce qui peut avoir un impact sur l’appréciation de la diversité. Le rapport devrait prendre en compte les personnes, les intérêts et les outils à la base de toute initiative de collecte de données. Outre les intérêts commerciaux qui peuvent imprégner la numérisation et les processus liés aux données, leur impossible neutralité en fait une question politique.

Les langages statistiques pourraient empêcher l’utilisation de méthodologies provenant des personnes les plus touchées par l’absence de SAN. Et parallèlement, des inquiétudes se font jour quant à la nouvelle légalité qui s’établit par le biais d’outils numériques pour l’enregistrement de l’utilisation des terres, de la propriété foncière, des changements d’utilisation des terres, de l’établissement de zones protégées, entre autres, alors que les paysans et les communautés locales n’ont pas leur mot à dire dans ces processus.

Gouvernance, propriété et privatisation des données. Obstacles à la collecte et à l’analyse de données de qualité
Se concentrer sur les questions de collecte de données a une portée trop limitée. Les processus de numérisation, qui comprennent l’ensemble de l’infrastructure de collecte des données et ses effets de réseau, doivent être abordés par le HLPE. La construction de ces infrastructures de données ainsi que la gouvernance des données doivent être abordées, étant donné que les données sont de plus en plus considérées comme une marchandise clé et une unité économique dans la « quatrième révolution industrielle ».
Les infrastructures de données privées soulèvent des questions cruciales de pouvoir et de contrôle sur les données, de savoir qui les possède et qui y a accès. Le rapport du HLPE doit tenir compte de l’économie politique actuelle de l’économie numérique dans son ensemble, qui se caractérise par la nature privée de la plupart des infrastructures numériques, un secteur des technologies de l’information et de la communication très concentré ainsi que des questions géopolitiques qui équivalent à un nouveau colonialisme numérique.
La numérisation de l’agriculture peut entraîner une déqualification et une perte des connaissances locales, car davantage de décisions sont prises sans consulter les personnes les plus touchées par l’absence de SAN. Les décisions prises par les agriculteurs sont complexes et liées à des contextes locaux. Les données auxquelles les agriculteurs ont accès ne sont pas les mêmes que celles des grandes entreprises de données, car ils ne participent généralement pas aux protocoles ou aux critères de collecte, et n’ont pas non plus accès à la gestion des plateformes ou n’en ont pas l’expertise. En général, les petits agriculteurs, les communautés locales et les peuples autochtones ne sont impliqués que comme informateurs qui renoncent à la propriété de leurs données.
Le rapport devrait aborder la question de la privatisation totale des infrastructures de données. L’extractivisme des données et l’élargissement de la fracture numérique et technologique entre tous les acteurs des systèmes alimentaires ne peuvent être évités que si les infrastructures de données sont publiques. On observe une intégration et une concentration verticales et horizontales croissantes dans la gestion des données dans les secteurs de l’agriculture et des technologies de l’information, ce qui risque d’accroître la concentration intersectorielle pour les profits des entreprises.
Les peuples autochtones, les femmes, les paysans et les agriculteurs familiaux, les travailleurs des systèmes alimentaires, les pêcheurs, les éleveurs et les consommateurs doivent pouvoir exprimer des opinions fortes dans les processus de numérisation et conserver la maîtrise de leurs données. La perte de la propriété et du contrôle des données peut entraîner une perte de la capacité de décision, une perte des connaissances locales et une perte de la valeur économique. Les systèmes de valeurs des connaissances locales et de l’agro-industrie sont différents, et nécessitent donc une compréhension différente de la propriété des données. Les réseaux d’agriculteurs à agriculteurs construits à l’aide d’applications numériques, tels que ceux qui ont émergé pendant la pandémie COVID-19 sont des exemples d’utilisations alternatives de la collecte de données, de la canalisation et de l’utilisation d’outils et d’applications numériques.

Sans processus décisionnel transparent et inclusif autour de la collecte et de l’analyse des données, les inégalités mondiales risquent de s’intensifier. La collecte de données est un élément crucial de la numérisation à tous les stades de la production et de la consommation alimentaires, et d’après ce que l’on voit, l’utilisation croissante de l’automatisation et de la robotique conduit à une perte des moyens de subsistance tandis que les avantages de la propriété des données sont pondérés pour l’agro-industrie.
Outre les problèmes liés au manque de neutralité, au manque d’inclusion, à la perte d’autorité des acteurs des systèmes alimentaires sur les informations issues de leurs contextes et environnements, le rapport doit reconnaître que la collecte de données peut être bloquée par les conflits politiques locaux, les catastrophes naturelles, la violence, l’analphabétisme et l’isolement.

Processus d’utilisation des données et de numérisation dirigés par les personnes & de quel type de données avons nous besoin

La collecte de données et les outils numériques peuvent potentiellement être utiles aux communautés locales, aux peuples autochtones et aux petits agriculteurs. Mais pour que les agriculteurs puissent être maitres de leurs propres processus liés aux données et à la numérisation, une formation particulière est nécessaire, ce qui ajoute une autre couche de difficulté si l’on veut vraiment prendre en compte les initiatives dirigées par les personnes.
Les possibilités d’utilisation des données par le biais d’outils numériques dans l’agriculture peuvent avoir un impact positif sur les moyens de subsistance et la qualité de vie des producteurs alimentaires, grâce à la possibilité de « renforcer la centralité des connaissances paysannes dans le processus de production et dans le système organisationnel et social », comme l’affirme Schola Campesina.
Lorsque les peuples autochtones, les femmes, les paysans et les agriculteurs familiaux, les travailleurs dans les systèmes alimentaires, les pêcheurs, les éleveurs et les consommateurs ont accès aux données et sont formés pour les interpréter, les processus de prise de décision pour le développement durable local peuvent être renforcés. Comme nous l’avons vu lors des moments les plus difficiles du confinement en 2020, la communication numérique au sein des communautés locales peut être un outil précieux pour faciliter les solutions collectives aux problèmes communs.
Les alliances entre les producteurs alimentaires (y compris les travailleurs), les ingénieurs en logiciels libres, les avocats et les experts peuvent contribuer à maintenir la centralité des connaissances locales dans l’utilisation des données. Dans tous les cas, la collecte et l’analyse des informations doivent se faire selon un principe ascendant (le terrain) vers le sommet (le pouvoir public), la base ayant la légitimité pour prendre des décisions.
Le rapport du HLPE sur les données devrait parler des conditions nécessaires pour que les personnes les plus touchées par le manque de SAN puissent utiliser et bénéficier de la collecte et de l’analyse des données et des processus de numérisation.
Mais il ne suffit pas de mieux impliquer les agriculteurs dans le processus de numérisation. Il est erroné de maintenir l’idée qu’il peut y avoir une bonne et une mauvaise numérisation. Le fait que nous utilisions tous l’internet n’est pas une raison pour l’accepter, c’est plutôt une preuve de la force de la contrainte de l’utiliser pour survivre économiquement et socialement. En tant que peuples indigènes, femmes, paysans et agriculteurs familiaux, travailleurs des systèmes alimentaires, pêcheurs, éleveurs et consommateurs, nous devons défendre avec force notre capacité à percevoir le monde avec notre propre sensibilité, qui n’a rien à voir avec les données.

Politiques nécessaires pour renforcer la capacité à effectuer une bonne collecte et analyse des données
Le projet de portée du rapport note à juste titre qu’il existe une lacune dans la qualité et la quantité de données au niveau national sur la production alimentaire et la SAN des ménages. Pourtant, s’il est essentiel de soutenir la collecte publique d’informations statistiques pour les politiques publiques, le HLPE doit tenir compte du contexte plus large dans lequel les données sont collectées. En effet, les données sont des informations et des connaissances qui sont abstraites du contexte social. Les relations de pouvoir et les inégalités peuvent souvent être reproduites à travers les données, en fonction de qui collecte les données, de quelles sources elles sont collectées, par quelles méthodes et dans quel but. En abordant la question de la collecte de données publiques pour la prise de décision politique liée à la SAN, le HLPE devrait prendre en compte les points suivants :

1. Actuellement, la disponibilité et l’accessibilité des données sont insuffisantes. La plupart des données sur les SAN sont fournies par le réseau alimentaire industriel, mais même le secteur privé a fourni moins de données à mesure que les analystes des entreprises et de l’industrie deviennent plus secrets. Les données développées par les universitaires sont également souvent publiées sur des sites à accès payant (« murs » ou paywall) qui limitent l’accès public. La prise de décision publique devrait être fondée sur des données statistiques disponibles et accessibles au public.

2. Le cadre conceptuel biaisé à l’encontre des petits producteurs alimentaires et des systèmes alimentaires territoriaux constitue également un problème majeur. La collecte de données est limitée à un petit nombre de cultures et d’activités de production alimentaire qui profitent souvent au système alimentaire industriel. Il existe peu de données précises sur le réseau alimentaire paysan. Les paysans cultivent environ 7 000 espèces différents, mais la plupart des données collectées ne portent que sur 150 espèces. Le monde ne dispose pas d’informations précises sur les contributions des producteurs paysans à la SAN. De même, l’enregistrement de la diversité est négligé. Grâce à une collecte sélective des données, les politiques publiques qui se focalisent sur l’importance de certaines cultures ainsi que les décisions liées à la concentration des terres et de l’eau, à la pollution de l’eau ou au harcèlement sexuel dans l’ensemble du système alimentaire, seront totalement biaisées.

3. La collecte de données effectuée à distance sans relation avec les petits producteurs et travailleurs est imposée. Dans le cas des données relatives à la propriété foncière, à l’aménagement du territoire, aux registres des forêts ou des pêches, le contrôle à distance de ces informations a toujours été la règle. Le partenariat avec les communautés, en particulier les plus marginalisées – comme les femmes, les personnes âgées, les minorités et les personnes LGBTQ+ – dans la collecte de données est essentiel.

4. Les recensements et les enquêtes censés servir à l’élaboration de politiques publiques ne sont pas exempts de manipulations de la part de ceux qui décident de ce qu’il faut faire et de la manière de mener les recherches.

5. La valeur des données tant quantitatives que qualitatives pour aborder la question de la SAN doit être abordée dans le rapport. Une compréhension holistique des systèmes alimentaires et de la nutrition nécessite de s’appuyer sur de multiples formes de connaissances, notamment des données quantitatives et statistiques, mais aussi des données ethnographiques et des témoignages individuels de détenteurs de droits. Les données quantitatives et les indicateurs ont souvent bénéficié d’une plus grande autorité dans la prise de décision, mais dans le contexte de la SAN, toutes les formes de connaissances ne peuvent pas être quantifiées. Si l’objectif est la production de données pour le bien public, il est impératif de comprendre ce que les données et les connaissances signifient pour les petits producteurs et les travailleurs. La traduction des connaissances en informations commerciales ou en informations pour le bien public est un processus politique.

6. La numérisation peut améliorer la collecte de données statistiques publiques, mais il est important de délimiter les différents types de données et d’évaluer la qualité des différentes données. Les différentes formes de données (données statistiques publiques, données commerciales, microdonnées, et métadonnées) ont toutes des utilisations et des impacts différents.

7. L’utilisation du big data pour les politiques publiques soulève des préoccupations importantes concernant la propriété des données, la transparence des algorithmes et la responsabilité. Comme le note le Groupe des Nations unies pour le développement, « Le big data contient souvent des données personnelles et des données sensibles. L’utilisation des données personnelles doit être fondée sur une ou plusieurs des bases légitimes et équitables suivantes, sous réserve de la mise en œuvre des règlements, règles et politiques des organisations membres du GNUD (y compris les politiques de confidentialité et de protection des données) : (i) le consentement adéquat de l’individu dont les données sont utilisées, (ii) conformément à la loi, (iii) en accord avec les mandats des organisations internationales, (iv) d’autres besoins légitimes pour protéger l’intérêt vital ou supérieur d’un ou plusieurs individus ou groupes d’individus. » Cependant, l’utilisation du big data pour les politiques publiques soulève des préoccupations supplémentaires. Le big data est le produit de technologies commerciales qui façonnent et orientent le type de données extraites. De plus, pour que le big data soit rendu intelligible, des algorithmes doivent être développés par des scientifiques qui, dans presque tous les cas, ne sont pas transparents sur leurs biais. Le rapport du HLPE devrait prendre en compte le cadre du Rapporteur spécial des Nations unies sur le droit à la vie privée.

8. Les problèmes d’extraction de données par les technologies de surveillance (satellites, GPS ou radiofréquences) pour les politiques publiques doivent être abordés par le HLPE. La dématérialisation des activités et des objets ou formes de vie crée de la valeur sous forme d’information à partir de données numérisées. Une nouvelle ressource qui peut être utilisée pour produire du profit à partir d’activités agricoles, mieux que la plantation de pommes de terre. Le rapport devrait remettre en question le droit de facto des plateformes numériques commerciales d’utiliser et de tirer un bénéfice économique des données non personnelles.

9. Les inégalités et injustices structurelles sont souvent reproduites dans les processus de collecte et d’analyse des données. Le manque de données sur les SAN pour les communautés et populations marginalisées peut empêcher des réponses adéquates en matière de politique publique. En outre, la fracture numérique et le manque d’accès aux infrastructures numériques, ainsi que les biais algorithmiques dans l’analyse des données, affectent davantage les populations les plus marginalisées.

En ce qui concerne l’analyse des données, le groupe d’experts de haut niveau devrait envisager :

1. Le rôle des institutions publiques multilatérales pour la collecte et l’analyse des données relatives aux SAN. Les philanthropies privées ont encouragé la désinstitutionnalisation de la collecte et de l’analyse des données, en les confiant à des institutions privées et à des universités dans les centres de pouvoir du Nord et du Sud. Les institutions multilatérales sont ancrées dans les mandats des Droits humains. La désinstitutionnalisation peut entraîner une méfiance et des inquiétudes importantes. Les partenariats public-privé entre les institutions de gouvernance mondiale et les géants de la technologie seraient aussi problématiques qu’une privatisation totale de la collecte de données.

2. La modélisation des données, les algorithmes d’agrégation des données et les processus d’apprentissage automatique doivent être ouverts, transparents et responsables. L’utilisation récente de l’intelligence artificielle à travers des processus tels que l’apprentissage automatique pour développer des résultats pour la SAN (y compris des projets tels que Ceres 2030) peut conduire à la manipulation des résultats et à la méfiance. L’IA pose des problèmes importants pour l’élaboration des politiques publiques en termes de transparence et de responsabilité qui doivent être pris en considération.

3. Il faut plus de cohérence et de transparence dans le dénombrement des personnes en situation d’insécurité alimentaire. Le décompte des personnes suralimentées, mal nourries et en situation d’insécurité alimentaire n’est pas cohérent dans les dernières éditions du rapport SOFI. Ces chiffres sont essentiels pour atteindre la SAN, mais la façon dont ils sont comptés a changé. Il existe une prolifération de « tableaux de bord » et de mesures qui ne désagrègent pas suffisamment les données, ni de manière cohérente.

Conclusion
De plus en plus, un grand nombre d’outils, de méthodes et de plateformes de collecte et d’analyse de données pour la sécurité alimentaire et la nutrition et, plus généralement, pour l’élaboration des politiques publiques, sont entre les mains du secteur des entreprises, notamment de l’agroalimentaire. Les gouvernements, les institutions publiques et les populations dépendent tous des services « cloud » et de satellites qui sont développés et gérés par les grandes entreprises privées. Toute collecte, tout stockage et toute analyse d’informations pour la SAN doivent tenir compte de ce contexte.
Les peuples autochtones, les femmes, les paysans et les agriculteurs familiaux, les travailleurs dans les systèmes alimentaires, les pêcheurs, les éleveurs, les consommateurs, défendent leur capacité à percevoir le monde avec une sensibilité qui n’a rien à voir avec les « données ».

Le problème du transfert d’une fiabilité totale à des systèmes de données privés, d’une chose aussi essentielle que la sécurité alimentaire, doit être discuté de manière transparente, voire rejeté dès le départ.
L’étendue des impacts de la collecte de données et de la numérisation n’est pas encore totalement évaluée, en particulier sur les systèmes alimentaires et les communautés locales. La réglementation aux niveaux local, régional et international est impérative pour empêcher les asymétries de pouvoir ainsi que l’extraction des connaissances locales au profit des chaînes de valeur mondiales. La concentration des données dans des entités privées a un impact inconnu et potentiellement grave sur les systèmes alimentaires et devrait être abordée avec le principe de précaution. Comme indiqué précédemment, la définition et l’analyse des données par le HLPE doivent être guidées et encadrées par le droit humain à l’alimentation et l’ensemble du cadre international des Droits humains, en soulignant en particulier le PIDESC, la CEDAW, l’UNDRIP, l’UNDROP, le PIDCP et les conventions pertinentes de l’OIT.
Si elles ne sont pas gérées de cette manière, la collecte et l’analyse des données constituent une forme d’extractivisme ou d’accaparement. Pour les communautés et les collectifs impactés, cela signifie la perte du contrôle des connaissances et menace leur souveraineté alimentaire.
En outre, même si la collecte de données était très minutieuse, les données ne sont qu’une image statique des faits ou des réalités que nous voulons analyser. Les réalités et les faits sont en mouvement et traversés par une diversité de problèmes. Les statistiques ne donnent qu’un instantané, même avec un tamis très fin, de quelque chose en constante évolution. Un ordinateur ne sera jamais « capable » de dire à l’agriculteur : « J’ai la meilleure solution à ton problème ». C’est pourquoi l’agroécologie – qui se base sur la centralité des connaissances des producteurs d’aliments pour garantir leur autonomie – doit orienter l’analyse de la collecte et de l’analyse des données pour la SAN.
Au niveau territorial, il existe un large éventail d’expériences autour de l’utilisation des données qui renforcent les programmes de lutte des petits agriculteurs, des paysans, des travailleurs de l’agroalimentaire et des peuples autochtones. Mais les restrictions propriétaires rendent de plus en plus difficile l’utilisation des données pour les besoins des peuples, en raison des droits de propriété et des systèmes de propriété intellectuelle. Ce n’est qu’avec la participation de ceux qui sont touchés par le manque de SAN que toute collecte et analyse de données peut apporter une connaissance véridique et productive de la diversité des situations et oser formuler des recommandations, que ce soit pour la collecte de nouvelles données ou pour de meilleures façons d’analyser les collectes de données dans les institutions publiques.
Le rapport HLPE devrait mettre l’accent sur la nature collective, inclusive et dialogique de la collecte et de l’analyse des données. Il doit s’éloigner de l’idée que la collecte et l’analyse des données sont des exercices objectifs et techniques sur lesquels on peut s’appuyer pour une phase politique successive de prise de décision politique.
Il est donc important d’élargir la portée de ce rapport autant que possible, en englobant les questions liées aux méthodologies, aux définitions des données, aux explications appropriées sur les chiffres de la malnutrition, à la focalisation étroite sur des variables qui n’ont pas été décidées collectivement avec les peuples autochtones, les femmes, les paysans et les agriculteurs familiaux, les travailleurs dans les systèmes alimentaires, les pêcheurs, les éleveurs et les consommateurs ; la transparence dans la collecte pour éviter la surveillance, la reproduction des injustices et des inégalités dans l’analyse des données, l’absence d’approches de l’utilisation des données qui proviennent d’expériences territoriales, la production de récits qui traduisent la sagesse, d’autres types de connaissances, des expériences qualitatives et la diversité dans un langage codé de données.
En raison de la propriété des outils (des systèmes « cloud » aux satellites en passant par les applications et les plateformes) et des hypothèses méthodologiques biaisées qui sous-tendent la remémoration et l’analyse, les données, après leur transformation en informations destinées aux politiques publiques, ont historiquement été utilisées pour éclairer de manière sélective certains aspects de la réalité tout en laissant d’autres dans l’ombre. Le rapport du HLPE devrait trouver des moyens de remédier à cette situation.

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